Géant d'acier - animation #1


Locomotion : (Ch. V - 1ère partie Le Géant d'Acier) : malgré les apparence voulues par son commanditaire le rajah de Bouthan, l'éléphant ne se meut pas sur ses pattes mais sur les quatre roues « d'une solidité à toute épreuve » de sa locomotive. Celles-ci sont « rayées à leurs jantes afin de pouvoir mordre le terrain, ce qui les empêche de « patiner ». On retrouve cette disposition sur la plupart des locomotives routières de l'époque et en particulier sur la locomobile anglaise Fowler, aboutissement des perfectionnements en ce domaine. Les roues arrière, motrices sont rayées transversalement, en chevrons, pour mordre le terrain pendant l'effort de traction, tandis que les roues avant, directrices sont rayées circonférentiellement pour éviter les dérapages latéraux. Les roues antérieures de Géant d'Acier sont directrices, on peut en modifier « l'angle ». Pour des raisons d'encombrement technique et de compatibilité avec la proximité des pattes articulées (ou plutôt des demi pattes) qui les recouvrent, il semble préférable quelles soient indépendantes, tournant chacune sur son propre pivot directionnel, tout en restant solidaires grâce à une barre d'accouplement (dispositif inventé en 1827 par le français Onésiphore Pecqueur pour être adapté sur une locomotive routière). Rien n'indique, dans le texte, lesquelles des roues sont motrices. Ce sont les roues postérieures qui le sont sur les locomotives routières de l'époque et de toutes façons, de ce qui précède, on comprendra, outre l'état d'avancement des techniques de l'époque, que rendre les roues antérieures motrices aurait été trop compliqué voire hasardeux pour la solidité de l'ensemble (une « locomobile rouleuse des chaussées » de M. Gellerat, un rouleau compresseur, avait toutefois son cylindre avant et son cylindre arrière tous deux moteurs et directeurs mais l'angle de virage était très faible (Supplément aux Merveilles de la Science, Louis Figuier), plus tôt, en 1824, les anglais Burstall et Hill rendirent les roues avant, directrices, de leur diligence à vapeur, solidaires de la motricité des roues arrière au moyen d'un arbre porteur d'un joint universel de Cardan (Histoire de la locomotion terrestre, L'Illustration, 1936) mais cette élégante solution resta sans suites, du moins jusqu'à la rédaction du roman de Jules Verne.

Pour ce qui est des roues motrices arrière, étant suspendues comme les roues avant, et de surcroît placée beaucoup plus bas que la machine à vapeur pour des raisons de structure, elles ne peuvent être directement reliées au bielles de la machine, comme d'ailleurs sur toutes les locomobiles de l'époque. La liaison entre leur essieu et l'arbre moteur se fait au moyen d'une forte chaîne sans fin. On peut supposer aussi que c'est cet arbre moteur qui porte les excentriques destinés, au moyen de bielles, à mouvoir les pattes factices. L'essieu commun des roues motrices doit comporter en son milieu un système différentiel pour assurer une vitesse différente aux deux roues dans les virages (autre dispositif inventé en 1827 par le français Onésiphore Pecqueur pour être adapté sur une locomotive routière).

Pour le contexte historique, signalons que Jules Verne a pu voir fonctionner la locomotive routière de M. Lotz dans les rues de Nantes en 1864 ou sur la ligne régulière Paris-Champigny en 1866 et qu'en Inde, l'anglais Thomson utilisait ses machines pour transporter le courrier sur les routes du Pendjab (La Vapeur, Amédée Guillermin 1875).

Les pattes : « un excentrique me permit d'atteler les jambes de mon animal aux roues de l'appareil ». La description est rapide mais la mise en oeuvre est plus complexe. Il y a d'abord et toujours ce problème des roues antérieures directrices qui par leur mobilité latérale interdisent un attelage direct des pattes antérieures. En outre, un attelage direct des pattes aux roues donnerait un effet de bielle, peu naturel. C'est pourquoi, il semble plus logique de placer les excentriques aux extrémités de l'arbre moteur, situé à égale distance des pattes avant et arrière et de les relier à ces pattes à l'aide de longues bielles cachées par la tapisserie du caparaçon. Les pattes sont en tôle et articulées, épaule-hanche, coude-genou, poignet- cheville, carpe/métacarpe-tarse/métatarse. Les bielles des excentriques aboutissent juste au dessous des coudes et des genoux. Une bielle interne à chaque patte relie le segment supérieur, humeral-fémoral au segment inférieur poignet-cheville pour permettre à celui-ci de se plier lors du mouvement. Les deux excentriques de chaque côté, un pour la patte avant, un pour la patte arrière, sont décalés de 90° pour assurer le mouvement décalé des pattes, tel qu'on le voit, par exemple, dans les clichés de Muybridge (mais ignorés de Jules Verne, pour des raisons de chronologie). Les excentriques sont en opposition de phase d'un côté à l'autre de l'éléphant.

- texte de JP Bouvet -